PARCOURS / Auteurs et auteures phare

Simone Weil

Découverte tardivement, elle est devenue une nourriture essentielle à ma pensée. Je ne saurai parler d’elle qu’en recopiant les phrases qu’elle trace dans sa langue si claire et si pleine d’autorité. En voici quelques unes parmi tant qui me sont un bréviaire :

« La tâche la plus haute de la pensée, sur cette terre, est de définir et de contempler les contradictions insolubles qui, comme disait Platon, tirent vers le haut. »  (OE complètes IV, Essai sur la notion de lecture)

« Rien n’est beau, merveilleux, perpétuellement nouveau, perpétuellement surprenant, chargé d’une douce et continuelle ivresse, comme le bien. Rien n’est désertique, morne, monotone, ennuyeux comme le mal. Il en est ainsi du bien et du mal authentiques. Le bien et le mal fictifs ont le rapport contraire. Le bien fictif est ennuyeux et plat. Le mal fictif est varié, intéressant, attachant, profond, plein de séductions. C’est qu’il y a dans la réalité une nécessité, une impossibilité qui manquent dans la fiction, de même que la pesanteur qui nous gouverne manque sur la toile d’un tableau. (…) La substance de notre vie est faite presque uniquement de fiction. Nous nous racontons notre avenir. A moins d’un amour héroïque de la vérité, nous nous racontons notre passé et le refaisons à notre goût. Nous ne regardons pas les autres,  nous nous racontons ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent, ce qu’ils font. La réalité nous fournit les éléments, comme les romanciers prennent souvent leur thème dans un fait divers, mais nous les entourons d’un brouillard où les valeurs sont renversées, comme dans toute fiction, où le mal attache et où le bien ennuie. (…) Les écrivains de génie sont hors de la fiction et nous en sortent. Ils nous donnent sous la forme de la fiction quelque chose d’équivalent à l’épaisseur même de la réalité, cette épaisseur que la vie nous présente tous les jours, mais que nous ne savons pas saisir, parce que nous nous plaisons au mensonge. (OE complètes IV, Morale et littérature)

« Un chose belle ne contient aucun bien, sinon elle-même, dans sa totalité, telle qu’elle nous apparait. Nous allons vers elle sans savoir quoi lui demander. Elle nous offre sa propre existence. Nous ne désirons pas autre chose. Nous possédons cela, et pourtant nous désirons encore. Nous ignorons tout à fait quoi. Nous voudrions aller derrière la beauté mais elle n’est que surface. Elle est comme un miroir qui nous renvoie notre propre désir du bien. »

« La question de Beaumarchais : Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? n’a jamais de réponse, parce que l’univers est vide de finalité. L’absence de finalité, c’est le règne de la nécessité. Les choses ont des causes et non des fins. Ceux qui croient discerner des desseins particuliers de la Providence ressemblent aux professeurs qui se livrent au dépends d’un beau poème à ce qu’ils nomment l’explication de texte. 

L’équivalent dans l’art de ce règne de la nécessité, c’est la résistance de la matière et les règles arbitraires. La rime impose au poète dans le choix des mots une direction absolument sans rapport avec la suite des idées. Elle a dans la poésie une fonction peut-être analogue à celle du malheur dans la vie.  Le malheur force à sentir avec toute l’âme l’absence de finalité. » (OE complètes IV, Formes de l’amour implicite de Dieu)

« Le mal est l’ombre du bien. Tout bien réel, pourvu de solidité et d’épaisseur, projette du mal. Seul le bien imaginaire n’en projette pas. » (La pesanteur et la grâce)