PARCOURS / Lieux
Mon Angulus
Je suis allée vers la terre, c’est-à-dire la campagne, dès que j’ai pu. Je l’habite. Elle a gagné mes livres. L’alternance des saisons, de la vie et de la mort dans la certitude que la vie reviendra, constitue à mes yeux l’essentielle différence entre mer et campagne.
Chaque année, le renouveau. Le renouveau n’est pas le nouveau. Il est le retour du même sans être tout à fait le même. J’ai été privée de cette notion pendant longtemps. Grâce soit rendue à ce bout de terre du nord de la Bourgogne où j’ai établi, comme le poète Horace l’a fait non loin de Tivoli, mon angulus, c’est-à-dire mon coin. C’est mon coin. Nous nous sommes choisis à l’instant où nous nous sommes rencontrés. J’y ai planté un arbre en plein milieu du jardin qui a prospéré au-delà de mes espérances. Bon signe. Les hirondelles m’honorent chaque année de leur venue, les grues passent haut dans le ciel en criant, toujours aux mêmes dates. Les ciels étoilés y sont splendides. Les chemins sillonnent la terre, appelant marcheurs et marcheuses. Le dérèglement climatique, la possibilité de la disparition de ce paradis en rend la jouissance presque douloureuse.
On me demande souvent si j’écris mieux à la campagne. Pas du tout. A condition qu’il n’y ait personne dans la pièce où je travaille, j’écris aussi bien en ville qu’à la campagne. S’il y a un lien, il est plus secret que celui de l’écart du monde. Il est dans le modèle que constitue le jardinage. J’arrache les mauvaises herbes et j’enlève les cailloux mais je ne suis pas le soleil. Ce me semble une métaphore du travail de l’écrivain : dans un texte, je sais ôter les maladresses, éliminer l’inutile, tailler à coups de sécateur mais le coeur du sujet, je ne peux que l’accueillir comme on découvre la couleur d’une fleur lorsqu’elle s’ouvre. Le sujet, longtemps au secret, s’épanouit si je comprends comment l’aider. Tout sujet me dépasse, aucun n’est le mien. Comme la fleur n’est pas au jardinier.
Mon angulus impose aussi un autre rythme à l’amitié, qui m’est au moins aussi importante que l’écriture, les repas en commun, les longues soirées, les balades, l’absence de magasins, de cinémas, de tentations diverses à ne pas être avec soi-même et entre nous.
© Luc Weiss
© Luc Weiss
© Luc Weiss
© Aurélien Vernant
© Luc Weiss