PARCOURS / Lieux
Indochine
Il faut imaginer un patrouilleur de la marine française dans cet arroyo du delta du Mékong
Elle n’existait déjà plus quand je suis née. Saigon était la capitale d’un pays nommé Viet-Nam du Sud qui perdura de 1954 à 1976. Elle est une sorte d’arrière-monde imaginaire transmis par ma mère, elle-même bercée par les récits de son père qui y avait vécu vingt ans, avait été maire de Cholon et lui demandait de préparer ses pipes d’opium. Elle y est allée à l’âge de 23 ans et en est revenue à 29 ans avec moi. Son de la langue, couleur et odeur ont imprégnés mes débuts dans la vie, sans compter que Thi-ba (ma nounou) nous a accompagnés en France et s’est occupée de moi jusqu’à mes deux ans révolus. La colonisation est un univers dont les crimes me crèvent les yeux d’autant plus que j’ai été habituée à ne pas les voir, masqués qu’ils étaient par le récit des « bienfaits » que notre présence apportait au pays et dont j’étais fière. La guerre du Vietnam est venue ajouter sa pierre à mon aveuglement : il fallait lutter contre le communisme qui faisait le malheur de ceux à qui nous avions apporté la civilisation. Puis il y a eu les boat people … Je suis faite de cet aveuglement au mal, qui consiste à se considérer comme détenteur du bien au dépends de celui pour lequel il ne l’est pas forcément, voire jamais. L’Indochine (et non le Vietnam) me hante. Dans l’Eau rouge, j’ai essayé de donner une forme à ce passé en l’affrontant à l’aide d’un fait réel et douloureux : une exécution sommaire. Mais j’ai tenu aussi à donner voix à ce qu’a pu représenter pour une Française la force bouleversante et l’aspect libérateur d’un voyage en Orient, loin d’une bourgeoisie corsetée dans sa morale mortifère.
L’hôpital Grall où je suis née.