PAR AILLEURS…

Ateliers d’écriture

Dès la publication de mon premier livre, j’ai pris le parti d’animer des ateliers d’écriture, mais de ne le faire que par le biais d’institutions, collèges, universités, maisons d’arrêt, hôpitaux. Partager une pratique, aider une personne à construire un texte, à trouver les mots, à mettre de l’ordre (parfois du désordre). Savoir lire son texte au groupe, écouter celui des autres. Avec le temps, j’ai surtout appris à repérer les pistes cachées dans les écrits. J’insiste sur la matière concrète, le temps et l’espace, plus que sur les idées. Et sur le retravail.

1994

Mon parcours a commencé en 1994 par une résidence dans la ville de Laval (Mayenne) sous l’égide de la Protection judiciaire de la jeunesse, impliquant l’animation de huit ateliers pendant quatre mois en milieu scolaire, carcéral, maisons de quartiers, foyers d’hébergement pour adultes, avec publication d’un ouvrage collectif aux Éditions Siloë : Boulevard Tango

1995 – 2000

Entre 1995 et 2000, j’ai collaboré régulièrement avec l’Action culturelle du Rectorat de Créteil. J’ai animé pendant six ans un APA (Atelier de pratique artistique) au collège Jules-Vallès de Choisy-le-Roi dans les classes de quatrième et troisième, en lien étroit avec la professeure Monique Radochevitch. Le CDI, les classes de dessin et notre propre atelier ont ensemble, avec le soutien du collège, inventé une petite maison d’édition baptisée  A ne pas lire qui a publié quatre recueils issus des ateliers.

Témoignage de Monique Radochévitch, professeure de français au collège Jules Valles

UNE EXPÉRIENCE DE LA NOUVELLE PAR L’ÉCRITURE

Ce qui m’a décidée à m’inscrire, c’est ma volonté de vouloir faire tout ce qui se présente à moi, et aussi l’idée de travailler avec un écrivain, et de pouvoir écrire quelque chose qui est à nous (c’est-à-dire nos nouvelles) et de voir cette nouvelle évoluer et se rassembler avec les autres nouvelles, et après toutes les corrections, toutes les rédactions ratées et parties à la poubelle, tous les temps passés à inventer des personnages, enfin le livre apparaît. (Sophia, élève de quatrième, bilan annuel, juin 97)

Un atelier de pratique artistique (A PA) écriture a été ouvert au collège Jules Vallès de Choisy-le-Roi en 1994. II est animé depuis 1995-1996 par Pascale Roze (Histoires dérangées, Julliard, 1994 ; Le Chasseur zéro, Albin Michel, prix Goncourt 1996).

L’atelier d’écriture regroupe une vingtaine d’élèves volontaires, issus de quatrième et de troisième, SEGPA comprise. Il a lieu toutes les semaines sur deux heures banalisées.

Il a abouti à la publication de deux recueils de nouvelles, les deux premiers d’une collection que nous espérons élargir. Clette année, nous sommes en train de travailler à l’écriture du journal intime d’un personnage.

L’écrivain, partenaire indispensable                                                                                        

Tour d’abord, aux yeux des élèves, l’écrivain est digne de confiance, tout simplement parce qu’il s’est montré capable d’écrire lui-même un ou plusieurs livres, il parle donc d’une expérience qu’il a entièrement menée.

Ce que Pascale Roze fait comprendre, en expliquant son processus de création, c’est que chaque auteur a sa propre approche du travail d’écriture, qu’il n’y a pas de recette universelle, qu’il est toujours nécessaire de tâtonner, d’abandonner, de refaire el refaire, jusqu’à ce que l’on puisse se sentir satisfait. Elle montre aussi combien la passion de la littérature nourrit sa propre écriture et son désir d’inventer une autre manière d’utiliser la langue. Elle fait découvrir, par le regard qu’elle pose sur les textes des élèves, que chaque écrit est unique, comme chaque individu est unique. C’est justement cette unicité qu’il faut trouver et cultiver, et cela demande une exigence permanente. Cette exigence, professionnelle, fait toute la différence, et il est toujours étonnant de voir comment les élèves y répondent, sans rechigner, parce que, je crois, ils en ressentent le besoin pour réussir.

Participer à l’atelier d’écriture, c’est exprimer tout haut, pour tout le monde, toutes les questions, tous les problèmes qui se posent, et expliquer Ies solutions envisagées. Une part très importante de chaque séance est réservée à Ia discussion. Les consignes sont reformulées autant de fois qu’Il est nécessaire pour que chacun les fasse siennes. Le groupe énonce des hypothèses sur ce que telle ou telle décision peut entrainer au niveau du fonctionnement du récit. Cette réflexion collective n’a pas pour objectif de présenter des modèles mais, au contraire, de montrer qu’à une même question, chacun peut apporter une réponse personnelle en fonction de son projet, à condition que cette réponse soit productrice de sens. Le rôle conjoint de l’auteur et du professeur est d’aider il l’évaluation de la pertinence des solutions proposées et de solliciter la recherche d’autres possibilités,

La pratique de l’écriture, en relation avec l’expérience d’un auteur, oblige les élèves à modifier sensiblement leur point de vue sur les textes littéraires qu’Ils étudient ou qu’ils lisent pour eux-mêmes. Leurs découvertes aboutissent en même temps a une démystification (écrire, ce n’est pas être bénéficiaire d’une inspiration qui serait donnée à quelques élus, mais un long travail fait de retouches successives), et aussi à un respect, peut-être plus profond, des textes, dans la mesure ou Ils sont mieux capables de reconnaître le travail effectué par chaque auteur.

Pour répondre à certaines craintes que manifestent parfois des collègues à propos du travail en équipe avec un écrivain, je tiens à préciser qu’auteur et enseignant ne sont jamais en concurrence. Les élèves perçoivent très bien l’intérêt de bénéficier d’approches différentes. L’essentiel est de bien déterminer la place de chaque animateur dans le respect de la personnalité et des compétences de chacun. L’enseignant est avant tout un médiateur entre l’auteur et les élèves, entre le travail mené en atelier et les apprentissages qui doivent être construits au collège. Les élèves qui écrivent au sein de l’APA ont eux aussi une tâche de transmission à mener dans leurs classes. Il appartient au professeur de leur demander de faire référence à leur pratique quand il le juge pertinent pour faciliter l’accès à des concepts fondamentaux. Pour faire réaliser, en troisième, des fiches sur les personnages d’un roman, j’ai, par exemple, demandé aux élèves de l’APA d’expliquer le processus de construction du personnage qu’ils venaient de créer et dont ils ont présenté la biographie détaillée.

J’ajouterai, pour clore ce chapitre, que le travail avec un écrivain (et avec d’autres partenaires) apprend à porter un autre regard sur les productions d’élèves. Il m’a aidée notamment à me débarrasser du « réflexe professionnel » qui fait voir tout de suite les défauts de surface du texte et occulte tout ce qui en fait l’originalité. Il me semble aujourd’hui indispensable de lire avant de corriger.

Faire écrire des nouvelles au collège  

La nouvelle est un genre littéraire souvent abordé au collège, en particulier à partir de la quatrième. Elle permet de travailler sur des textes intégraux, donc d’étudier l’organisation d’ensemble de la narration, de fixer les notions fondamentales liées à l’étude du texte narratif, ouvrant ainsi la voie à la maîtrise de la plupart des genres littéraires, aussi bien qu’à l’analyse filmique, à laquelle doit être initié l’élève de collège.

Du point de vue de la production écrite, la nouvelle offre une grande richesse au niveau de la variété des genres, des tonalités, ainsi que des structures. Cette liberté en fait un espace de création personnelle très riche.

Par ailleurs, la concentration du récit sur un nombre restreint de personnages et d’événements permet de travailler à partir de contraintes fortes, qui sont généralement d’excellents déclencheurs d’écriture. Quant à la nécessité de surprendre le lecteur, elle oblige la prise en compte permanente du destinataire, dimension souvent oubliée dans les exercices scolaires d’expression écrite.

Un exemple détaillé : la création d’un recueil (BIessure de guerre et autres nouvelles)

La lecture préalable de trois nouvelles de Pascale Roze précède la première prise de contact et les questions des élèves nous permettent de partir de leurs réactions face à une écriture contemporaine différente de celle des auteurs qu’ils sont en train d’étudier (Maupassant, Poe).

Tout d’abord, nous faisons le tour de ce que recouvre le terme « nouvelle », pour que chacun se représente quel genre d’écrit il va s’agir de mettre en œuvre. Le projet sur lequel   nous nous mettons d’accord est que chaque membre du groupe réussisse à mener à son terme l’écriture d’un court récit centré sur un personnage et dans lequel il se passe quelque chose de suffisamment fort. Nous précisons que tous les textes seront publiés.

Nous avons prévu de commencer par l’écriture d’une nouvelle collective qui servira de champ d’expérimentation avant le travail individuel.

Écriture d’une nouvelle collective

Au moment où nous commençons, personne ne sait absolument rien du personnage ni de l’intrigue.

Pour préparer la construction du personnage central, Pascale Roze donne aux élèves  une consigne qui leur demande de s’impliquer personnellement : ils doivent rédiger une lettre adressée à quelqu’un qui ne les connait pas du tout (un oncle d’Amérique dont ils viennent d’apprendre l’existence) et qui devra pouvoir se rendre compte exactement de l’endroit où vit l’expéditeur.

Un autre exercice est proposé au cours de la même séance : faire son autoportrait sous la forme d’un objet. Il est précisé qu’un texte de chaque série sera tiré au sort et utilisé.

Les élèves savent qu’ils devront lire leur texte au groupe. La lettre a donc un double destinataire, l’un fictif : l’oncle, l’autre réel : le groupe, et un objectif unique : se faire connaître.

Dès les contraintes énoncées, la discussion porte essentiellement sur la notion de vérité (doit-on obligatoirement présenter son vrai appartement ?). La question a une importance considérable pour certains adolescents qui craignent de trop se révéler dans leur texte. Elle est fondamentale à ce moment du travail, car nous voulons faire comprendre que l’écriture est aussi un mode d’exploration de soi.

Au moment de l’écriture des nouvelles personnelles, le problème resurgira, posé par une élève de quatrième qui voulait écrire une histoire dont le personnage principal décidait de se suicider, mais ne passait pas à l’acte, après en avoir envisagé les conséquences sur son entourage. Dans ses premiers brouillons, cette élève raturait systématiquement les passages qui faisaient allusion aux relations du personnage avec ses parents. Elle justifiait ses ratures en disant sa crainte que ses propres parents se reconnaissent mais, en même temps, elle sentait que là était la clé de son histoire et elle ne voulait pas abandonner son projet.

Après de multiples discussions et recherche de solutions (écrire sous un pseudonyme, anonymement), elle a trouvé une réponse dans la transposition : un garçon, un autre lieu, un autre milieu social, et surtout elle a découvert une forme qui lui permettait de mettre les événements à distance (un scénario découpé en tableaux, ne suivant pas l’ordre chronologique et jouant sur l’ambiguïté du geste du personnage).

Bien sûr, tous ne font pas le même chemin, mais ce parcours a été perçu par tout le groupe qui connaissait l’auteur du texte et qui a parfaitement compris son travail de mise à distance.

 Nous sommes à présent en possession de deux textes : une description d’appartement (transcrite au tableau sous la forme d’une liste détaillée) et un objet : il s’agit d’une carte postale représentant un chien. Le personnage principal de la nouvelle va devoir naître du décor.

Quelques exemples peuvent permettre de suivre le processus :

  • La décoration de la chambre est féminine : le personnage est une femme.
  • L’appartement est douillet : elle aime le confort, elle aime bien rester chez elle.
  • Il y a un balcon : elle observe souvent ce qui se passe dehors.
  • Etc.
  • Et surtout elle possède une armoire pleine de vieux vêtements, indication qui va être primordiale pour l’histoire, car le groupe imagine que, d’abord, ce personnage a un certain âge (une « vieille », pour eux, c’est-à-dire : la cinquantaine bien avancée), qu’ensuite, dans cette armoire, elle garde une robe qui représente un souvenir, une robe de mariée, la sienne, jamais portée, pourquoi ? Un secret prend naissance ici, des idées jetées les unes après les autres.
  • Lorsqu’il faut lui donner un prénom, « Denise » semble bien « d’époque ».

À partir de ces éléments, l’atelier se met d’accord sur un synopsis en quelques lignes  qui constituera la base du récit (…).

2003, 2004

En 2003 et 2004, je suis intervenue pour la Compagnie théâtrale de La Hulotte, sise à Lormes dans le Morvan, en milieu rural, animant un atelier à la médiathèque de Clamecy, à celle de Lormes.

2005

En 2005, j’ai eu sous ma responsabilité une master class d’écriture organisée par le CRL (Centre régional du livre) de Bourgogne, à la médiathèque d’Avallon.

1994-2008

En milieu carcéral, j’ai animé un atelier d’écriture en 1994 dans le quartier des femmes de la Maison d’arrêt de Laval, puis pendant l’été 2000 au quartier des mineurs de la Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy à la demande d’OROLEIS de Paris, puis, en 2007 et 2008, dans le quartiers des hommes des maisons d’arrêt de Guéret et Limoges à la demande du Centre régional du livre en Limousin-ALCOL.

Ce travail a donné lieu à une interview, diffusée sur FR3 Limoges

2015 – 2018

De 2015 à 2018, j’ai animé un atelier d’écriture avec des étudiants du Premier collège de Sciences-po Paris intitulé « Lecture-écriture ». Il s’agissait d’apprendre à déceler les indices de sens en lisant de très près des nouvelles choisies par moi pour leur brièveté et leur éclat et de réussir à en écrire une soi-même.  Partager son temps d’atelier entre l’exercice de lecture – les étudiants y ont souvent du mal – et la fabrique d’un texte personnel en respectant la consigne de la brièveté et la contrainte du genre telle qu’elle est apparue dans les lectures demande un réel effort que les étudiants ont presque tous réussi à faire. C’était pour moi un plaisir de leur faire découvrir des textes que leur parcours d’étudiants ne les aurait jamais amenés à croiser : du Tchekhov, Buzzati, Reza, Brautigan, London, Kafka et bien sûr, celui qui constituait chaque année le socle commun du groupe : Maupassant.

2017, 2018

En 2017 et 2018 j’ai animé deux ateliers d’écriture à l’hôpital Marmottan. L’un requérait ma présence le samedi et le dimanche auprès de patients en cure de sevrage. Je passais la journée avec eux, la participation aux ateliers étant libre. L’autre, en hôpital de jour, ouvert au personnel, médecins, accompagnants, administratifs et aux patients (qu’on appelle de fait clients à Marmottan). Le premier atelier a bien fonctionné, le deuxième s’est arrêté assez rapidement. On a éprouvé que la structure était trop lâche, trop de passages et pas assez d’implication.

© Carole Peclers