ÉCHOS

Critique

mars 2005
Paru dans Le Magazine littéraire. Par Chantal Labre

Pascale Roze ressuscite Horace

L’écrivain et comédienne Pascale Roze nous offre un essai singulier sur Horace. Avec délicatesse, l’auteur du Chasseur zéro fait entrer en résonance les propos et thèmes du poète romain avec notre époque.

Connaît-on vraiment Horace, au-delà du destin exceptionnel de ce petit homme rond, simple fils d’un affranchi, qui devint, avec Virgile, le grand poète de Rome et l’ami d’Auguste et de Mécène ? On cite ses odes épicuriennes et mélancoliques sur la fuite du temps ; mais ses satires, ses épîtres, ont pâti d’appartenir à des genres proprement romains et dont la singularité d’alors ne nous retient plus. Tempus fugit, disait-il ; le temps passe, et vite.

Ce temps, Pascale Roze le prend — et nous demande le nôtre, pour revenir à Horace, à partir d’elle, et de nous. L’essai sur cet “homme sans larmes” entend se tenir loin de toute présentation objective ; étape d’un itinéraire personnel, Horace est ici celui qui a su faire passer à l’auteur une philosophie de la joie, du sourire — patiemment construit, ce sourire, comme l’aboutissement d’une vie consacrée à la quête de soi et à l’écriture. Un remerciement, en somme, d’un écrivain à un poète. Pourquoi parler d’un auteur, ancien ou moderne ? Parce que c’est lui et que je suis moi ; parce qu’il m’a appris à être ce que je suis. “J’ai cherché les mots des autres, parce que ma pensée ne s’élève que grâce à autrui, aux textes d’autrui surtout.” Ces mots, ici, permettent de “penser la joie”. Horace devient la figure émouvante de l’intercesseur, qui permet aux vivants de s’expliquer, de “domestiquer” une joie “tranquille”, frémissante encore du sourd accompagnement de l’angoisse : d’en faire leur demeure, malgré le temps qui fuit.

Qu’on se rassure : l’essai retrace, aussi, le parcours de l’homme et du poète, et sait faire revivre, avec un sens du détail concret bien horatien, le monde romain d’alors. Ce qui domine pourtant, c’est le souci de respecter les énigmes qui subsistent ; il y a là le parti pris d’une pudeur soucieuse de respecter les non-dits d’Horace lui-même (“C’est ainsi que Flaccus trace lui-même son enfance, par boutade, et je marche dans ces traces-là, celles qu’il m’offre, et je me tais avec lui.”). Le souci, également, d’indiquer une certaine précarité du “propos sur” un auteur si lointain (“J’ai imaginé”, “J’y vois…”) ; très loin de toute certitude universitaire, l’essai, ici, met volontiers en résonance propos et thèmes du poète romain avec ceux d’un contemporain. Il y a des “choses communes” (communia) entre Horace et nous, entre l’ancienne Ville et les nôtres, et ce sont ces choses communes (“la chose commune la plus amère et la plus commune : la fuite du temps”), qui tissent, patiemment, avec “reconnaissance”, un profond compagnonnage.

Essai sur Horace : il s’agit bien de s’essayer, d’essayer son moi, sa capacité d’intuition, d’écrivain aussi, à propos d’un autre, et même de plusieurs autres. On entend discrètement résonner, de place en place, les mots de contemporains qui comme Horace, ont cherché dans l’écriture la voie d’une sagesse ou ont interrogé la vie et la manière de la vivre. Et l’écriture propre de Pascale Roze sait ressusciter celle du poète romain ; ainsi, la règle de la sagesse horatienne — aurea mediocritas —, si difficile à traduire (la médiocrité dorée ? L’or du juste milieu ?), retrouve ici tout son étincellement : “Le sable d’or sur sa peau, c’est le souvenir de l’ivresse.” On aime, surtout, que la singularité de l’approche sache ne pas faire ombrage au rayonnement dominant de “l’homme sans larmes” : “On n’écrit pas pour se montrer ; on écrit pour disparaître”, disait Bernard Pingaud ; “et j’ai disparu”, tel est ici le mot de la fin. Reste l’évidence d’une joie.