ÉCHOS

Critique

juin 2006
Paru dans L’Express. Par Marianne Payot

Les blessures de Saïgon

Pendant la guerre d’Indochine, une jeune bourgeoise s’engage dans l’armée. Une leçon de vie tout en finesse signée Pascale Roze.

Ce qui frappe, d’emblée, dans ce beau roman, c’est son ton, simple, limpide et un tantinet désuet, comme le nom de son héroïne, Laurence Bertilleux. Puis il y a l’histoire, souple et linéaire elle aussi. En apparence seulement, à l’instar de cette Cochinchine du début des années 1950, petite France en miroir, avec ses banques et son palais de justice, “où l’on se promène comme à Soissons ou Montauban”, en dépit des moussons et des “événements”, pour reprendre l’expression de l’époque.

Laurence Bertilleux, donc, jeune bourgeoise parisienne, n’a rien d’une révoltée. Mais elle cache, comme certaines personnes effacées, une force de caractère peu commune. Un beau jour, à 11h45, cette diplômée de psychologie, complexée par ses gros seins, décide de s’engager dans l’armée. Le 31 janvier 1948, la voilà, à 23 ans, voguant vers Saigon. Bientôt, ce sera Chaudoc, cantonnement des militaires, dans la riche plaine du Mékong, où, préposée à la popote, elle joue également les opératrices de cinéma.

Drôle d’ambiance : alors qu’on danse chez le Résident, que le commandant hésite entre tomates farcies et bœuf en daube, et qu’on boit des VCS (vermouth, cassis, soda), la lutte contre le Vietminh s’intensifie. Laurence, bonne fille, combative et loyale, toujours éblouie par la vie, s’applique à ses tâches. Jusqu’à cette faute, infligée au faible, impardonnable. Cinquante ans plus tard, la mémoire la rattrape, la honte la submerge. Ainsi vont les gens honnêtes… Incapables d’accepter petitesses et injustices.

C’est cette dualité, cette leçon de vie “sans en avoir l’air”, qui ravit dans le dernier roman de Pascale Roze. Dix ans après son prix Goncourt pour Le Chasseur Zéro, saluons la finesse de cet auteur attachant.