Critique
La vie en Roze et noir
Pascale Roze est une romancière singulière, l’un de ces auteurs qui savent créer des univers et des personnages autres que ceux que nous côtoyons. Le décor d’Aujourd’hui les cœurs se desserrent n’a pourtant rien d’extraordinaire : Rouen, la ville de province par excellence. Justement, une ville si proche de Paris qu’on ne peut que souffrir du manque de lumière. Nous sommes en 1942, chez les Deslorgeux, au cœur de la bourgeoisie industrielle. C’est le début du délitement, celui de la fortune, de la famille, des espoirs, comme des rêves. Chez ces gens-là, comme le chantait Brel, le silence est un langage. On transmet l’entreprise de tissage à l’aîné de la génération suivante en prenant soin de lui préciser : “Tu es un raté.” Le Deslorgeux du troisième rang, Guillaume, le narrateur, entreprend de raconter cette sombre période où son père, Paul, prisonnier en Ukraine, finit par s’échapper au bout de 500 jours de captivité, tandis que son oncle, Jean, évadé lui aussi, se cache au sein de sa famille. C’est pourtant Paul qui épousera Babeth, trop lasse d’attendre que Jean se déclare. Et puis il y a l’entreprise qui doucement périclite. Les Deslorgeux n’ont pas voulu travailler avec “les boches”. Pas plus qu’ils n’acceptent de passer à la matière synthétique. Le roman de Pascale Roze évoque ici et là Les Buddenbrook de Thomas Mann. On y retrouve le même tableau social, un style empreint de naturalisme, la rivalité entre les frères, les amours contrariés. Mais Pascale Roze – entrée dans le “métier” par un coup de maître : le Goncourt pour Le Chasseur Zéro – prouve qu’elle n’a nul besoin d’être comparée.