Critique
La vie en Roze
Sur un sujet pareil – la chute d’une grande famille bourgeoise – n’importe quel écrivain aurait fait un roman-fleuve. Mais, bien plus avisée, Pascale Roze choisit de condenser trois générations en 170 pages, écrites au présent, avec des phrases courtes mais qui claquent, un sens du détail détonant, une sobriété inquiète qui la range du côté de chez Modiano. Ses silences sont bien plus diserts que de grands discours. De toute façon, chez les Deslorgeux, on se tait. Et forcement, à force de ne rien dire, on se trompe de vie, de femme, de destin, on se meurtrit de père en fils, un vrai sabotage familial. Maurice a subi en silence les sarcasmes de son père. Son fils, Paul, ne desserre plus les dents depuis qu’il est rentré des camps de concentration. Quant à son frère Jean, en décidant de ne pas travailler dans l’entreprise familiale, il quitte son chemin tout tracé mais pas son milieu. Parce que tel est l’enjeu de ces gens : ne jamais sortir de leur milieu. “Curieux mot qui a disparu. Depuis peu on parle de réseau. La métaphore est scientifique, celle de milieu était biologique.” Pascale Roze raconte la dégringolade d’hommes qui vivent non pas au-dessus de leurs moyens, mais au-dessus de leur temps, qui ne croient qu’aux choses qui durent comme la popeline qu’ils fabriquent et qui devient de plus en plus belle en vieillissant. Mais la société de consommation n’aime pas les choses qui durent. Ce roman de Roze, lui, restera.