ÉCHOS

Critique

27 février 2014
Paru dans Le nouvel observateur n°2573. Par Jean-Louis Ezine

Bouquet de Roze

Pascale Roze signe dix-huit nouvelles, autant de variations fleuries sur le dépit amoureux.

Depuis la mort d’Eschyle, on n’avait rien lu de tel. Pourtant, ça remonte, la mort d’Eschyle. 456 av. J.-C. Un auteur de théâtre, expert de la tension dramatique, spécialiste de l’angoisse, treize fois vainqueur du concours de tragédie auquel se livraient les anciens Grecs. Il a rendu l’âme en recevant sur la tête une tortue, lâchée par un aigle qui avait pris son crâne chauve pour un caillou. Question intrigue, Eschyle venait de trouver son maître.

Il aura donc fallu attendre deux millénaires et demi avant qu’un de ces reptiles chéloniens, planquant ses émotions à l’abri de son exosquelette, ne vienne plastronner à nouveau dans le drame humain qui ne le concerne en rien. C’est Pascale Roze, une ancienne lauréate du Goncourt, qui nous refait le coup de la tortue, mais à l’envers. Ce n’est plus la tortue qui tue, c’est la tortue qui sauve, pour la rédemption de l’espèce. Résumons : une comédienne (le théâtre n’est jamais loin), désespérée de n’avoir pas été retenue par le metteur en scène pour “les Trois Sœurs”, décide de mourir et choisit la noyade. Elle se jette du bateau de ses amis, en méditerranée, la nuit, pendant son quart. La mort tarde cependant, car pour son malheur elle sait nager et, circonstance aggravante, elle a négligé de se lester la cheville d’un bon moellon. C’est alors que surgit une tortue de haute mer, laquelle, accueillant sur son dos la jeune femme épuisée, va la déposer pour son salut dans des eaux fréquentées par les humains.
Et vous savez le plus fort ? C’est qu’on y croit. On y croit même à fond la caisse (et pour ce qui est de la caisse, la tortue caouanne n’en manque pas). Un incompréhensible soulagement vous gagne, une confiance inconnue. Presque une envie de dire merci.
C’est dire dans quel état de déprime se trouve le lecteur coutumier aujourd’hui, en France. C’est dire aussi l’indiscutable talent de Pascale Roze à traduire, face aux cas les plus mortels, l’embellie miraculeuse, la bonté aveugle du hasard, la poésie des rémittences. Chacune de ces dix-huit nouvelles, inspirées par les jeux de l’amour et de son fatal corollaire, le désamour, est le récit d’une volte-face. D’un caprice d’écrivain résolu sans honte à la liberté de son exercice. Et tant pis pour la bonne humeur, on s’en remettra.