ÉCHOS

Critique

mars 2014
Paru dans Études : Revue de culture contemporaine tome 4203. Par Françoise Le Corre

Esprit de finesse

D’après le bref apologue qui donne son titre au recueil de Pascale Roze, l’amour est le petit archer joufflu de la mythologie dont la flèche blesse mais “augmente le prix de la vie”. Il faut en profiter, l’enfant peut vite dire : “J’en ai marre”. Le “passage de l’amour” est imprévisible. Mais “passage” pourrait aussi bien désigner ces galeries parisiennes que Walter Benjamin a célébrées. Des passages protégés, entre deux rues passantes. Parfois étroits, sombres, parfois éclatants de lumière. Pascale Roze y a-t-elle pensé ? En quatrième de couverture, elle éclaire son projet : “J’ai voulu que les éléments de ma vie trouvent place dans ce recueil sous forme d’histoires.” Elle le fait avec grâce et simplicité. On y trouve, dans le désordre chronologique, une petite fille des colonies, en Indochine ou dans un pensionnat de bord de mer ; l’émerveillement de retrouver chez son fils la passion pour le Phèdre de Platon ; les souvenirs heureux qu’un vieux Vietnamien garde de l’Occupation française : “Non, ne dites pas les Blancs. On n’a jamais dit les Blancs, c’est Marguerite Duras qui a inventé ça.” Et ceux, amers, des rapatriés d’Indochine. Ce sont aussi des rencontres, dans un train, au hasard d’une tournée, des fenêtres ouvertes sur des vies entraperçues, histoires d’amour à peine ébauchées, élans de sympathie.

Si le recueil s’ouvre sur une tentative de suicide en mer, la tonalité générale n’est pas morbide. Ce récit-là aboutit au triomphe de l’instinct de vie, et plusieurs de ces textes parlent de la lutte contre la maladie et la tentation d’y céder. Le livre est dédié à Claude Delarue. L’écrivain genevois, mari de Pascale Roze, est décédé en 2001. “Le chevalier de Doublecœur” doit sont beau nom au pacemaker, ce deuxième cœur qui ne suffit plus à pallier les défaillances du premier. Cet homme est fatigué, il “a commencé à rendre son âme”, à prendre congé des êtres et des choses. Il renonce. C’est aussi un créateur amer face à l’insuccès. Et puis, un jour, la force de vie reprend, l’espoir d’une greffe, dans un élan enfantin : “Quand j’aurai un nouveau cœur, je m’achèterai une Jaguar.” L’organe arrivera, mais trop tard. Qu’est-ce qu’un couple, quelles zones secrètes il faut apprendre à respecter, de quelles arythmies triompher : Pascale Roze est ironique aussi, vis-à-vis de l’“écrivain de première catégorie”, maussade et jaloux, qui lui gâche le plaisir d’une soirée. Mais “toujours, depuis toute petite, l’euphorie scintillait et la détournait de la souffrance. S’il y avait une chanson quelque part, même une chansonnette, ses pas la portaient, éblouie, elle allait l’écouter.” Aussi, au plus mélancolique du deuil et de la perte, dans le texte qui clôt le recueil, un papillon vient la consoler. Somptueux, inattendu, il s’appelle “le sphinx du peuplier”.