ÉCHOS

Critique

25 mai 2008
Paru dans Le Monde. Par Christine Rousseau

Candide face à l’horreur

L’histoire d’Itsik est celle d’une fuite naïve vers le bonheur, vers la survie des siens. “Serrée et lumineuse […] elle se tient parmi les autres au-dessus de nos têtes […] ouverte comme les lèvres d’une blessure qui ne peut se refermer.” Une plaie béante d’où s’échappent les maux du silence, du déracinement, de la misère ; d’un destin emporté par l’Histoire et la folie exterminatrice. Les maux et les douleurs d’une vie ordinaire que Pascale Roze restitue dans un roman bouleversant de justesse et de dignité.

Cette vie, inspirée d’une histoire vraie, est celle d’Yitzhok Gersztenfeld. Né à Varsovie en 1904, ce fils de cordonnier — dernier d’une famille de neuf enfants — est, comme ses frères, destiné à partir. Pour l’amour de Maryem, une jeune fille aussi gaie et volubile qu’il est timide et silencieux (“Parler pour lui c’était exagérer”), Itsik va donc quitter à 19 ans sa mère qu’il chérit et le quartier de son enfance pour Berlin où l’accueille Yossel, son frère. Très vite cependant, il se brouille avec son aîné, qui a fait fortune dans la confection et veut le voir épouser sa première d’atelier. Puisant au fond de lui une force inédite, Itsik trouve les mots du refus. C’est à Maryem, la fille du chantre, qu’il se destine. À elle qu’il a promis une nouvelle vie à Paris.

Après un détour par les houillères du Nord où il s’initie aux idées de Léon Blum, Itsik parvient enfin dans la capitale. “Lui qui ne voulait pas rejoindre les siens, qui voulait être un homme sans tribu, un homme parmi les hommes, il prit le chemin du Sentier.” Le temps d’ouvrir un petit atelier de tricot et de fonder une famille avec Maryem. Alors qu’un fragile bonheur s’esquisse entre une femme fière qui ne veut rien renier de sa culture et un homme qui cherche coûte que coûte à s’intégrer, les premiers nuages s’amoncellent. Avant d’éclater en septembre 1939. Vainement Yitzhok tente de s’engager dans l’armée française ; puis, sur les routes de la débâcle, hésite longtemps (trop ?) à regagner Paris où commence à sévir les premières lois antijuives. Le 13 mai 1941, convoqué au commissariat il est emmené, comme 3710 autres juifs au camp de Pithiviers. L’espoir chevillé au corps, il écrit à Maryem qui est tombée malade. Grâce à quoi une permission lui est octroyée, à condition qu’il revienne. Désespérément seul et rendu à lui-même, Itsik s’interroge : que choisir entre la liberté et la parole donnée. Entre la fuite, une fois encore et l’attente d’une hypothétique victoire des Alliés ?

Une paire de chaussures prêtée par Zoran, l’un de ses amis détenus, décidera pour cet homme doux et silencieux. Ce déraciné “au cœur infantile et maladroit” que Pascale Roze sait, avec une grande sensibilité, nous rendre inoubliable.